Silence วีดีโอ en bord de Seine

Image agitée par TouchDesigner d’une photo par Colin Bouvry
Animation TouchDesigner à base des photos de Lou Bachelier

J’avais sorti mon clou depuis une minute. Mon pote Colin prenait quelques photos. J’étais dos à la Seine avec la Conciergerie et un palmier kitchissime en toile de fond. Un mec genre armoire à glace m’ordonne sans gêne : « C’est super beau ce que vous jouez, mais venez donc jouer en public ». Il voulait probablement que je vienne 50 mètres plus loin face aux gens allongés sur les transats. Je ne veux pas emmerder les quidams qui roupillent. De toute manière j’ai choisi un autre endroit. Le mec insiste. Il me flatte de manière éhontée pour me faire bouger de place. Je travaille mon instrument en public. Je ne fais pas la manche. Nuance. Le mec se tire en grommelant. Une bonne femme me pose la question habituelle des braves gens : « quel est mon instrument, une trompette ? Une clarinette ? » Non c’est un saxo soprano. « Ah bon le son est très doux, je croyais que le saxophone était plus tonique, plus dynamique. » 

Trois euros le café à un jet de pierre de l’endroit où je vais jouer. Il est trois heures de l’après-midi. Chaleur étouffante de fin juillet. Les bords de Seine ont l’air sympas, mais ils sont hyper pollués. Paris est dans le fond d’une cuvette. La Seine est le creux de la casserole où stagnent particules fines et saloperies toxiques. Au bout de cinq minutes, il m’est impossible de rester en plein soleil. Je vais me poster plus loin à l’ombre près du pont au Change. Les gens font comme si je n’étais pas là. Je ne les dérange pas, je suis transparent comme une radio ne diffusant pas trop fort la musique. Je suis un vrai générateur d’ambiance, pas un artiste. Je me chauffe au gaz, au gazon broutte-minou… Je joue « April in Paris ». Un jeune couple se colle près de moi. Ils s’embrassent à pleine bouche, parlent fort, puis écoutent sur leur iPhone un bout de ce que je viens de jouer. Ils m’ont enregistré. Je me transforme en média virtuel. D’autres gens me filment en catimini. Les gens adorent voler des images de mecs exotiques. Ils se prennent pour des journalistes. Tout le monde filme tout le monde. La CIA-Google résume le tout en filmant par satellite les activités des nations pour le compte de l’oncle Sam. Aujourd’hui je joue machinalement sans aucun feeling. J’assume les compositions de mémoire. J’improvise des notes, des milliers de notes qui n’ont aucun sens. Virtuosité creuse. J’ai le souffle court : je n’en peux plus de la pollution. Je n’arrive plus à souffler dans le tuyau. Hygrométrie défavorable. J’arrête et je rentre chez moi mécontent. Je file à un SDF la pièce de 2 euros que j’ai récolté.  (Extrait de mon journal d’après Covid)

Beaubourg par la face Nord

Attaque de Beaubourg par la face Nord. Le Centre Pompidou encerclé par des musiciens polonais (Przemek Zieliński, Radek Muzyka, Jan Szczypior) opérant l’art contemporain à l’air libre la veille du 15 août. Improvisation dans la rue. Vidéo myself+iPhone+TouchDesigner

photo Vladimir Drouz

Je jouais à « Paris Plage » j’ai rencontré trois musiciens polonais qui font la manche dans les rues pendant leur court séjour à Paris. Deux percussionnistes et un bassiste électrique. Ils sont très organisés avec des fauteuils pliants ultras légers et amplis  portables. J’aime leur façon de jouer : une sorte de jazz rock ambiant qui se prête bien à l’improvisation au saxo. Ils étaient enchantés d’avoir trouvé un soliste. Ils m’avaient donné rendez-vous à Beaubourg. Nous avons attaqué le Musée par sa face nord. Nous avons assiégé tout ce foutoir d’art conceptuel comme des sauvages armés par le futur effondrement du marché de l’art. Au bout d’une heure un vigile est venu gentiment nous dire de dégager. Avec quelques éléments image et son enregistré n’importe comment j’ai fait une vidéo en retravaillant avec le complexe logiciel « TouchDesigner ». La technologie offre une déformation visuelle qui correspond exactement à ma vision du monde : haché, scratché, tremblé, bruité, mouvant, éthéré, lacéré de couleurs violentes choisies par le hasard machine. J’ai posté la vidéo. 

Steve Lacy : le soprano est jaloux

« Steve Lacy : Unfinished » aux Editions Lenka Lente. Toutes sortes de témoignages (dont le mien), analyses, discographies, documents, partitions par nombre de musiciens et amis de Lacy sous la direction de Guillaume Tarche. Un magnifique livre en anglais et français qui part dans tous les sens et aurait plu à Steve.

Confinement, mars 2020. J’essaie de décompacter mes souvenirs. J’étais un petit mec sympa pour Steve Lacy. Il fut un grand maitre pour moi. Je suis autodidacte, mais j’ai étudié sur le tard avec quelques musiciens. D’abord avec Steve. Peu de temps après, j’avais été boursier avec Mauricio Kagel, puis quelques années après j’avais tout repris à zéro en suivant comme auditeur libre les cours de musique indienne de Patrick Moutal au CNSM de Paris. J’ai horreur des gens qui critiquent ou couvrent d’éloges les autres pour parler d’eux-mêmes sans scrupules. Avec le confinement, bloqué chez moi, je vais causer de ma petite personne sous l’emprise de l’ego cerné par les virus. Mes souvenirs sont subjectifs et à moitié effacés. Je vais toujours de l’avant. J’ai tendance à oublier le passé pour foncer vers l’avenir. Je vais m’efforcer de reconstituer mes souvenirs de Steve à différentes époques, de remplacer les trous de mémoire par du baratin. Je vous parle d’un temps où les moins de vingt ans découvraient la new wave et le désenchantement des Trente Glorieuses.

Une chose est sûre : quand j’avais rencontré Steve pour la première fois en 1977 à son atelier d’orchestre du Festival de Châteauvallon, je ne connaissais rien à rien. Je jouais comme un pied. Je croyais détenir la vérité du free jazz. Je croyais que la fureur et le cri étaient la lave en fusion de la révolte. Je croyais que l’utopie du refus de la mélodie, du rythme et de la forme allait changer le monde. Je connaissais seulement le free jazz. Je crachais avec fureur sur la musique classique. Je n’avais quasiment jamais entendu de jazz traditionnel. Pour moi le jazz était une musique bourgeoise. Le free jazz était révolutionnaire. Il secouait les oreilles et empêchait les exploitants de siroter leur verre tranquille. Mes propos sont une sorte de mastication de l’enseignement de Steve qui m’a conduit pour partie à ce que je suis devenu des décennies après.

J’étais tombé sur Steve à la sortie d’un concert de Sam Rivers avec Dave Holland au Palais des Glaces, rue du Faubourg du Temple. J’avais souvent rencontré Steve à des fins de concerts (quand il ne jouait pas, il allait souvent écouter les autres musiciens programmés à Paris). C’était au début de l’été 1978, Steve me demande si tout va bien. Non, je suis fauchman. Il me propose de coller ses affiches. OK, mais je ne veux pas d’argent, je veux des cours de musique en guise de salaire. Cinq cours d’une heure chez lui dans le quartier du Marais. Je ne me souviens plus de la nature des cours. Je lui posais des questions. Il répondait. C’est quoi l’harmonie ? Il jouait un fragment de trois notes avec un accord majeur sur son beau piano à touches rouges et noires : klang, klang, klang, ça ne bouge pas, ça n’avance pas, on s’ennuie de suite ! Bon, alors à l’opposé, il joue le deuxième degré mineur voire n’importe quel degré de la gamme puis la dominante, la sensible, etc. et tout à coup c’est la même chose, mais vivante, une belle chose qui avance, qui résonne. Autre question : le tempo. Il se met à marcher lentement dans la pièce puis à courir. Il passe des heures à marcher dans les rues et ruminer ses morceaux au rythme de ses pas, métaphore de la mesure musicale. Tout dépend du tempo, tu te rends à un rendez-vous amoureux en courant ou au cimetière lentement.  Steve avait le sens de la métaphore amusante. Il lançait des paradoxes réjouissants. Impayable.

Il me disait qu’un seul concert apprenait dix fois plus que n’importe quel conservatoire. Je demandais si je devais persister dans les directions non idiomatiques. Il me répondait que les jeunes musiciens reviendraient à coup sûr à la mélodie. Ce qui s’avéra exact pour beaucoup et pour moi en particulier. Comment fonctionne le système harmolodique d’Ornette ? Il me disait en avoir discuté avec Ornette Coleman, mais n’avoir pas compris exactement son concept. Des années après, j’ai trouvé que c’était le même système que Steve, mais avec une méthodologie opposée. Ornette écrit un fragment mélodique et le donne à jouer à tous les instruments sans transposer. On se retrouve avec un intervalle d’un ton entre trompette et basse et une tierce mineure entre alto et basse. Ornette est conceptuel. À l’inverse, Steve transposait méticuleusement ses compositions dans des intervalles qui frottaient à mort entre demi-ton, ton ou quarte augmentée. Souvent c’était des lignes parallèles sauvages sans préparations ni résolutions harmoniques exactement comme Ornette. Autre question : Je suis inquiet de mes tendances multi-instrumentistes. Steve : « Attention ! le soprano est jaloux, il se venge des autres instruments en te faisant jouer faux » me dit-il en substance. Le dernier cours était une improvisation d’une heure à deux saxophones. Sans commentaire. Comprenne qui pourra. C’était un moment comme un autre pour Steve. Ce fut une pierre blanche dans mon itinéraire musical. Une révélation : comment faire vibrer le métal doré du saxo en ondes musicales d’or pur.

Lors d’un de ces cinq cours, il y avait Brion Gysin qui venait souvent lui rendre visite, ils étaient voisins et très amis. Je n’avais pas la moindre idée de qui il était ! J’étais à l’ouest. Un des plus grands poètes vivants. Il sort de chez Steve en même temps que moi et commence à me draguer outrageusement. À l’époque j’étais un petit mec mignon, tout à fait hétéro. Je l’avais envoyé sur les roses. Quelques années plus tard, j’ai découvert qu’il était mon poète favori. Co-inventeur du cut-up avec Burroughs et aventurier génial des permutations. Il avait écrit le texte d’une des plus belles chansons de Steve, « Somebody Special », le mec cherche l’amour partout sans le trouver puis à la coda il découvre que le mec spécial : « It’s me ! ». L’année dernière, en 2019, nous avions fait un « cover » de cette chanson avec la tournée Saravah Revisited comme une œuvre symbole des artistes du label à l’époque des seventies.

Steve avait déclaré dans Jazz Mag que « sa musique était comme sa merde »,une merde en cadeau aux jazz fans du monde. Une digestion seconde par seconde, molécule par molécule, virus par virus, note par note. Il ne pouvait s’arrêter de jouer un seul jour pas plus que le coeur ne s’arrête de pomper le sang une seconde ni le corps de combiner des processus chimiques vitaux. Il n’était jamais content. Il fallait qu’il joue tout le temps. Peut-être cherchait-il à retrouver les applaudissements, mais il voulait surtout retrouver chaque soir la substance mystique du jazz qui était sa profonde raison de vivre. Le souffle de sa musique était comme le souffle de sa vie. S’il n’avait pas de concerts durant une semaine, il sombrait dans la panique. Je lui proposais de repasser lui rendre visite la semaine suivante : « Ah non, je ne pourrai pas, je vais jouer à Tokyo et la semaine d’après aux USA ». Steve était à la fois vedette de l’underground mondial et en même temps anonyme dans n’importe quelle rue de la terre. L’idéal pour un génie : connu, mais pas trop…Steve n’avait pas d’agent pour le représenter. Il se débrouillait seul. Il enregistrait un disque chaque mois pour payer son loyer. Il avait la tête dans les étoiles.

Quand j’avais fait la réédition de ses cinq vinyles Saravah en 1997, j’avais revu Steve plusieurs fois pour le texte de pochette, le contexte historique, etc. Je me souviens d’être assis dans un café avec lui. Je lui demande off micro pourquoi il ne cherche pas à électrifier son orchestre comme Miles ou Ornette ? Il pourrait atteindre la célébrité. Qui je suis pour raconter des conneries pareilles à Steve ? Il reste impassible et rigole de ma question. Je voulais juste lui faire partager le seul truc que j’aurais pu lui apporter. Mais il détestait viscéralement l’électro, le rock, les trucs bruyants et les plans binaires. De ce point de vue nous étions à l’opposé. J’étais à fond dans les samplers, les synthétiseurs et les machines. Steve s’était intéressé à l’électronique expérimentale seulement par Musica Elettronica Viva ou la Cracklebox de Michel Waisvisz. Évidemment…

Une décennie avant, en 1987, j’accompagnais Julien Blaine au Festival international de poésie de Milan. Steve était au même programme avec je ne sais plus quel poète italien. Il y avait aussi le formidable Joël Hubaut qui peignait un gigantesque tableau de cinq mètres de long installé sur la scène du théâtre. Il était accompagné d’une bande enregistrée de punk hyper violent. Il m’avait demandé de jouer avec Steve pour la fin de son tableau. Steve était passionné par la peinture. Il avait accepté à condition que l’on n’entende plus de musique binaire. Vers la fin du tableau, je devais faire shunter le rock et nous apparaissions au milieu du public avec nos deux saxophones brillants sous les projecteurs avec une impro sévèrement musclée. Je ne me souviens plus du résultat, mais j’en garde un bon souvenir. Tout n’était pas filmé par tout un chacun comme maintenant.

J’adorais la voix d’Irène Aebi, la compagne de Steve pendant trois décennies. Bien sûr il y avait toujours des gens mal intentionnés et ignares pour chuchoter ignominieusement qu’elle chantait faux. Steve était un grand compositeur. Peu de gens le savent. Il est dommage que ses compositions ne puissent être regroupées et éditées dans un beau livre. Dans les toutes dernières années du siècle passé, Steve avait viré Oliver Johnson de son orchestre. Il était pourtant très fidèle en amitié avec ses musiciens. Steve était invité à l’Élysée pour jouer avec son orchestre. Il venait de recevoir la médaille de Chevalier des Arts et des Lettres. Oliver était arrivé en retard complètement saoul, avait insulté tout le monde. C’en fut trop pour Steve, après une longue série de déraillements du batteur.

Quelques mois plus tard, j’étais allé rendre visite à Steve à son nouveau domicile, une splendide maison avec jardin dans les hauts du dix-neuvième arrondissement. Steve était alité au plus mal, attaqué par le crabe. Je n’avais pas voulu en savoir plus. Le cancer… Horrible cauchemar. Steve venait en plus d’apprendre l’ assassinat d’Oliver Johnson une nuit sur un banc dans le quartier des Halles. Le merveilleux batteur était devenu un clochard. Quelle tristesse. Irène Aebi avait été agressée cette même semaine dans une rue d’un autre quartier. Steve semblait complètement perdu, affolé, pris au piège. En plus, il venait d’avoir un sévère redressement d’impôts. L’administration lui demandait des arriérés délirants. Il se voyait victime d’un complot, rejeté par la France. 

Son premier cancer guéri, Steve fut invité à devenir professeur titulaire à l’Université de Boston. Pour son retour définitif, nous avions coorganisé avec Vincent Lainé et une amie japonaise de Steve une belle fête d’adieu. C’était l’été 2002 à l’atelier Zéro_un, de Marie-Jo Pillet. J’avais fait une grande fresque de huit mètres de long sur deux de hauteur avec les pochettes des centaines de vinyles de Lacy, presque tous appartenaient à Vincent qui avait beaucoup travaillé avec lui et avait édité son livre Findings. Malheureusement, au tout dernier moment, j’avais remplacé Joëlle Léandre sur la tournée en Colombie de Julien Blaine. Je ne pouvais par refuser une aventure pareille, bien payée et excitante sur le plan artistique. Je téléphonais de Bogota à Steve à l’heure exacte de la fête pour lui souhaiter le meilleur. Il y avait une jam du tonnerre dans l’atelier avec les meilleurs musiciens et amis de Steve basés à Paris…

Steve est décédé en 2004, année de la fondation de Facebook. Le monde a changé avec le nouveau siècle. J’imagine mal Lacy scroller ses derniers likes du concert de la veille. Tapez 3 puis tapez 27 et rentrez votre code personnel. Veuillez faire la mise à jour avant d’agir. Il serait devenu fou. Steve était un homme de l’époque du téléphone, du contact direct. « Allo, c’est Lacy à l’appareil », vous restiez mesuré même s’il était toujours sympa.

J’étais bouleversé par son décès. Je n’avais plus aucune nouvelle depuis son départ aux USA. Je ne savais pas qu’il avait contracté un second cancer qui lui fut fatal. En guise de deuil, j’avais commencé à jouer « Tips » dont la partition est dans le livre édité par Vincent (éditions Outre Mesure). J’avais commencé à jouer et enregistrer en re-recording ce qui est contraire à toutes les règles de l’art : on pose d’abord les bases rythmiques, puis ensuite les mélodies. J’avais bricolé en mulitipiste l’arrangement au jour le jour. J’avais demandé à mon fils de dix ans de chanter les quatorze aphorismes de Braque mis en musique par Steve. C’était adorable : la fraicheur d’une voix d’enfant enveloppant l’univers de Steve Lacy pour un adieu discret et sincère. Puis j’avais demandé à mes amis musiciens des contributions. Thierry Negro entre autres m’avait aidé à reconstruire la rythmique. Finalement j’avais appelé Pierre Barouh pour lui proposer d’éditer ce disque sur son label. Hommage à Steve, un CD de vingt minutes conçu pour être offert, envoyé par la poste à mes frais. Dès le lendemain il m’avait donné son accord. Il fut édité dans les plus brefs délais et envoyé à deux cents personnes, musiciens, journalistes et amis… Je ne reçus quasi aucune réponse. J’appelai un ou deux journalistes qui me dirent qu’ils en avaient marre des hommages… C’était juste un jour pire que les autres.

Lisbonne après le confinement

Dernier jour à Lisbonne près du parc Alameda photo Francisco da Trindade. Improvisation post Covid19 au bord du Tage près du Musée d’art contemporain de Lisbonne avec Francisco da Trindade. Photo Carla Santana

Premier concert de l’après-Covid. Ici comme ailleurs les musiciens ont beaucoup souffert de la pandémie. Au Portugal il n’y a pas de régime des intermittents du spectacle pour soutenir les artistes. Concert dans un club associatif underground nommé Desterro. On trouve l’adresse sur Facebook. L’endroit est situé dans une petite rue tortueuse presque impossible à trouver même pour un Lisboète. Seul le grand GPS venu du satelite est au courant. Le lieu vu de l’extérieur est une sorte de boutique anonyme avec un rideau de fer tiré, juste un ordi allumé lointainement laisse supposer une présence. Une flèche noire indique une sonnette. Une nana cheveu bleu vert vient ouvrir. L’intérieur est immense complètement recouvert de graffitis du sol au plafond. Les lumières ultras tamisées à dominante rougeâtre laissent à peine entrevoir les visages des quelques aficionados qui attendent les musiciens assis autour d’une table ronde. Retrouvailles de mes vieux potes Ernesto Rodrigues violon alto, Miguel Mira violoncelle, Hernâni Faustino basse et José Lencastre saxo ténor. La salle de concert est située au sous-sol, on dirait un club de sexe berlinois tenu par des punks à l’époque de la chute du mur. D’ailleurs un couple de petits jeunes sortent des chiottes l’air satisfait d’avoir terminé leur affaire. En réalité c’est un lieu dédié à la musique techno punk mais ouvert de temps en temps à la free music. Il y a un dédale de salles toutes couvertes de tags, street art, pochoirs, graffitis, affiches etc. La musique démarre sur les chapeaux de roues dans la grande tradition de l’improvisation classique du nord de l’Europe des labels FMP, Incus, ICP etc. J’adore. Ici le label Creative Source domine par son activité proliférante. La régie lumière éclaire des palettes de couleurs très pro et surprenante pour un lieu aussi improbable. Deuxième set : j’ai l’honneur d’être invité à me joindre à eux pour jouer. Plongeon dans l’aventure intense de l’improvisation totale comme seul Lisbonne et Berlin en ont conservé le goût. Virtuosité sans excès de notes inutiles. Retenues et écoute mutuelle. Une sorte d’accord constitué des harmoniques des cinq musiciens ensemble se met à résonner. Les notes se prolongent naturellement de manière presque magique dans un au-delà de l’imaginaire. Visions de l’après-Covid. Palette de nuances déchirées. Kaléidoscope d’idées . Alchimie du futur de la musique.