Le virus mute, la liberté d’expression aussi. À l’époque de l’ancien bloc soviétique, on invitait ses amis à des séances artistiques de samizdat underground. Avec la dictature de la pandémie, Jean-Jacques Birgé montrait son film chez lui selon les règles de la morale sanitaire actuelle : rendez-vous pris par Internet. Huit places par séance maximum. Projection continue pendant trois jours aux heures de l’avant-couvre-feu. Ce n’était pas une fête, mais bien un RV local pour voir le film/vidéo/musique/événement/virtuel/folk/pop/jazz/free/image. C’était super. JJ sauve la mentalité créative d’avant le Covid 19 dans une formule spéciale échantillonnée de différentes histoires qui vont des documents folk du musée d’ethnographie musicale de Genève aux fanfares free, synthés trapus et obsessions musicales.
Narration uniquement sonore non illustrative de l’image. Le toujours subversif principe de Dziga Vertov : les images et les sons se conjuguent uniquement de leur différence radicale. La tension narrative est superbe et ne nécessite pas, à mon avis, ses intertitres un peu trop intellos. Mais l’important est la transition, la mutation de la musique vers de l’image liquide, de l’imaginaire non approuvé par les canons Tik Tok (anciennement Top 50). Les photos d’écran que je vous donne sont prises au hasard. Une douzaine de photos ne peut résumer 50 minutes de vidéo. On finit par fermer les yeux et écouter la musique du monde.
Jean-Jacques Birgé est un musicien obstiné. Il est en train de muter vers une nouvelle direction qui me plait. Moi, je ne fais plus de disques, ça ne sert à rien à part perdre de l’argent. Plus personne n’écoute de disques sous la forme CD (à part les bons vieux classiques achetés il y a mille ans si le lecteur n’est pas encore tombé en panne). À la place je fais des vidéos enregistrés n’importe comment et je les diffuse sur ma chaine YouTube. JJ lui, fait une oeuvre vidéo musicale avec l’aide de brillants vidéastes qui pourrait être comparable aux films d’artistes très valorisés que l’on voit à Beaubourg et dans toutes sortes de musées. JJ a d’abord fait un CD : « perspectives du XXIIe siècle » puis il a combiné les 16 pièces du disque en une vidéo d’une heure. D’autres gens l’ont déjà fait auparavant bien sûr, mais avec la musique créative de notre époque merdique il bascule dans une voie nouvelle et nous montre une direction intéressante. La mutation du virus créatif n’est qu’au début.
Il faudrait projeter ce style d’oeuvres sur les stades de football, les terrains d’atterrissage, les murs des hôpitaux remplis de contaminé. Les festivals, les concerts déjà rares risquent de l’être de plus en plus avec les multiples catastrophes s’échelonnant jusqu’au XXIIe siècle, (dont la cécité des organisateurs au pouvoir n’est pas la moindre). Il faudra trouver une autre façon de faire de la musique à part les « Lives » par Internet assez anecdotiques. Je réagis au film de JJ que j’ai vachement aimé. Je m’éloigne de son propos, tant pis. JJ écrit des intertitres pour réorienter vers une narration fictive : dans un siècle après la catastrophe globale globalisante du globe, des survivants retrouvent les merveilleuses archives du musée de Genève et découvrent la folk musique des siècles passés.
JJ pourrait tout à fait transformer ses intertitres (conçu comme à l’époque du cinéma muet) par des intertitres racontant au hasard « cent mille milliards de poèmes » comme un Queneau de l’époque numérique. L’intelligence artificielle réglée en random sortant chaque fois au hasard un commentaire narratif différent. Du coup l’esthétique free pourrait déboucher sur une sorte de jeu paravidéo ouvrant les méninges. Excusez cette chronique non critique. J’ai abandonné la critique « pro » depuis longtemps. Je déteste cette façon de causer de son ego masqué. Moi et mon ego sommes enchantés par l’oeuvre de JJ. Les oeuvres marquantes donnent envie de se remettre soi-même à créer en attendant le siècle XXII.