Operator : alerte coronavirus

Opérator : opéra mini-top. Un grand écran en fond de scène diffuse une vidéo de circulation de rue très exagérée, images accélérées couleur saturées, mouvement en tous sens, ville futuriste. Sur scène : un musicien joue dans une rue imaginaire.

Un robot monolithe stéréo clignotant diffuse la voix samplée des pensées du musicien en pleine autofiction. Le texte est lu par des voix machines (par exemple Siri VoiceOver d’Apple). Dans un coin de la scène se tient un récitant qui lit simultanément la première partie du texte ci-dessus : Hyper Musik Covéo®. Les théâtres et salles de spectacle sont toujours plus ou moins fermés. Cette pièce musicale est conçue pour être joué chez soin dans la rue ou n’importe où. Le texte suivant peut même être lu simplement sans musique, sans aucun dispositif scénique. 

La maquette sonore de « Operator : alerte coronavirus »
déposé à la SACEM en novembre 2020

(extrait du texte, première partie) Je salue Monsieur l’opérator masqué. Déconfinement. Je ne serre plus la main. Je salue du coude à coude codé sans lettre « u ». La disparition. Coude à coude. Code à code. Pour ne pas se toucher, on s’envoie un code via smartphone avec la dent bleue magique « blue tooth ». La procédure « code à code » signifie « bonjour chez vous ». Une simple poignée de main dit tout de la personalité de l’interlocuteur. Comme la poignée de main est interdite pour cause de Maxi Corona Minus, on ne sait plus rien du profil des gens. Le contrat social est remplacé par la distanciation sociale. De plus avec un masque sur le visage on saisit difficilement la personalité globale des gens. On ne voit ni leur nez, symbole du sexe ni leur bouche qui exprime bien plus que la langue. Plus question de lire sur les lèvres. Le seul truc marant est que le masque emmerde les flics et sabote la reconnaissance faciale. Il s’agit de cliquer « oui » pour accepter les conditions générales d’utilisation du protocole sanitaire, un texte de 25000 pages en petits caractères.  

Opéradrome, Opéra cheap, Opéra tordu, Opérator. En période de crise, je monte mon micro opéra avec les moyens du bord : utilisation des voix humaines samplées par les ingénieurs des âmes de chez Apple et machines automatiques détournées de leur usage, Siri, VoiceOver et compagnie, pour les mettre au service de la création. Avant on utilisait une musique synthétique pour accompagner une vraie voix. Maintenant, j’utilise une voix entièrement synthétique accompagnée par une musique mixte, cent pour cent bio. Avant on utilisait les voix de robots pour jouer science-fiction, style avant-garde. Maintenant j’utilise les vraies voix machines échantillonnées déguisées en voix humaines pour verbaliser mon délire personnel. Style arrière-garde. La machine numérique articule d’humeur égale et neutre. Vocal de confinement. Les voix machines ne postillonnent pas, n’éternuent pas, ne bavent pas, ne gueulent pas. Fantôme de Madame Machin dans Monsieur Machine. 

Les voix samplées de synthèse, robot déguisé en voix humaines, sont partout. Dans les gares, les trains, les aéroports, les répondeurs téléphoniques, les annonces des grands magasins, les discours officiels, les portes d’immeubles, les assenceurs, les pubs sur Internet et même les bandes-annonces de ARTE. Les voix machines sont mélangés avec celles des êtres humains, main dans la main, maman. Madame électrique et Monsieur synthétique. Il flotte dans l’atmosphère une odeur âcre de gel hydroalcoolique. Avatar d’alcool. Tocard Hydro numérique. Coco alcoolique. [Cadenza] musique

Anniversaire

Mon fils bien aimé va avoir 27 ans. Il termine de longues études de musique baroque. Nous avons toujours improvisé ensemble à l’occasion, au fil des années. Quand il avait sept ans je lui avait demandé de chanter sur « Tips » l’hommage à Steve Lacy. Photo Shahrzad

Léo Brunet aujourd’hui 20 février 2021

A 18h, l’heure du couvre-feu

Vidéo 1 : Sonnerie du couvre-feu en face de chez moi au couché du soleil. Vidéo 2 : Les jours rallongent et le couvre-feu est toujours à 18h. “Avant de mourir” de George Boulanger repris ensuite par Les Platters sous le titre “My Prayer” Vidéo 3 : Première page de « Tilework for clarinet » de Tom Johnson juste après le couvre-feu. Vidéo 4 : Permutations sur « je suis né confit » à l’heure du couvre-feu. Voix machine SIRI+Processing

Chronique du XXIIe siècle

Le virus mute, la liberté d’expression aussi. À l’époque de l’ancien bloc soviétique, on invitait ses amis à des séances artistiques de samizdat underground. Avec la dictature de la pandémie, Jean-Jacques Birgé montrait son film chez lui selon les règles de la morale sanitaire actuelle : rendez-vous pris par Internet. Huit places par séance maximum. Projection continue pendant trois jours aux heures de l’avant-couvre-feu. Ce n’était pas une fête, mais bien un RV local pour voir le film/vidéo/musique/événement/virtuel/folk/pop/jazz/free/image. C’était super. JJ sauve la mentalité créative d’avant le Covid 19 dans une formule spéciale échantillonnée de différentes histoires qui vont des documents folk du musée d’ethnographie musicale de Genève aux fanfares free, synthés trapus et obsessions musicales.  

Narration uniquement sonore non illustrative de l’image. Le toujours subversif principe de Dziga Vertov : les images et les sons se conjuguent uniquement de leur différence radicale. La tension narrative est superbe et ne nécessite pas, à mon avis, ses intertitres un peu trop intellos. Mais l’important est la transition, la mutation de la musique vers de l’image liquide, de l’imaginaire non approuvé par les canons Tik Tok (anciennement Top 50). Les photos d’écran que je vous donne sont prises au hasard. Une douzaine de photos ne peut résumer 50 minutes de vidéo. On finit par fermer les yeux et écouter la musique du monde. 

Jean-Jacques Birgé est un musicien obstiné. Il est en train de muter vers une nouvelle direction qui me plait. Moi, je ne fais plus de disques, ça ne sert à rien à part perdre de l’argent. Plus personne n’écoute de disques sous la forme CD (à part les bons vieux classiques achetés il y a mille ans si le lecteur n’est pas encore tombé en panne). À la place je fais des vidéos enregistrés n’importe comment et je les diffuse sur ma chaine YouTube. JJ lui, fait une oeuvre vidéo musicale avec l’aide de brillants vidéastes qui pourrait être comparable aux films d’artistes très valorisés que l’on voit à Beaubourg et dans toutes sortes de musées. JJ a d’abord fait un CD : « perspectives du XXIIe siècle » puis il a combiné les 16 pièces du disque en une vidéo d’une heure. D’autres gens l’ont déjà fait auparavant bien sûr, mais avec la musique créative de notre époque merdique il bascule dans une voie nouvelle et nous montre une direction intéressante. La mutation du virus créatif n’est qu’au début. 

Il faudrait projeter ce style d’oeuvres sur les stades de football, les terrains d’atterrissage, les murs  des hôpitaux remplis de contaminé. Les festivals, les concerts déjà rares risquent de l’être de plus en plus avec les multiples catastrophes s’échelonnant jusqu’au XXIIe siècle, (dont la cécité des organisateurs au pouvoir n’est pas la moindre). Il faudra trouver une autre façon de faire de la musique à part les « Lives » par Internet assez anecdotiques. Je réagis au film de JJ que j’ai vachement aimé. Je m’éloigne de son propos, tant pis. JJ écrit des intertitres pour réorienter vers une narration fictive : dans un siècle après la catastrophe globale globalisante du globe, des survivants retrouvent les merveilleuses archives du musée de Genève et découvrent la folk musique des siècles passés.

JJ pourrait tout à fait transformer ses intertitres (conçu comme à l’époque du cinéma muet) par des intertitres racontant au hasard « cent mille milliards de poèmes » comme un Queneau de l’époque numérique. L’intelligence artificielle réglée en random sortant chaque fois au hasard un commentaire narratif différent. Du coup l’esthétique free pourrait déboucher sur une sorte de jeu paravidéo ouvrant les méninges. Excusez cette chronique non critique. J’ai abandonné la critique « pro » depuis longtemps. Je déteste cette façon de causer de son ego masqué. Moi et mon ego sommes enchantés par l’oeuvre de JJ. Les oeuvres marquantes donnent envie de se remettre soi-même à créer en attendant le siècle XXII.  

Un article de Jean-Jacques Birgé

D’Étienne Brunet, en 2011 j’écrivais :  » Étienne Brunet accouche d’un nouveau concept, comme chaque fois, avec les forceps. Fidèle qu’à lui-même, il reproduit les gènes d’un autre médium pour sortir du noir et crier rage ou désespoir. Pendant un an il aura creusé une ribambelle de logiciels de son et d’image pour faire naître son projet inspiré d’un roman à paraître. Quand cela ? On ne sait jamais. Tinnitus-Mojo est son histoire, celle d’un musicien qui a perdu l’audition d’une oreille et se lance éperdument dans la quête infinie des nouvelles technologies pour retrouver sa forme, ou, à défaut, l’inventer.  » Étienne, rencontré il y a de 40 ans lorsqu’il jouait dans le trio Axolotl, a toujours choisi d’appuyer son art sur des concepts, qu’il enregistre Postcommunism Atmosphere avec Corneliu Stroe et Laurent Saiet, La légende du Franc Rock and Roll avec Saïet, Benjamin Ritter, Erick Borelva, Christophe Minck et Paul Rogers, Free/bifteck avec Daunik Lazro, Daniel Mille, Thierry Madiot, Borelva, Camel Zekri, Hubert Dupont, Julien Blaine et Fred van Hove aux grandes orgues avec qui il commet également Improvisations, ou Tips (Tribute to Steve Lacy) avec un petit ensemble, et bien d’autres albums où il saisit chaque fois l’essence-même de chaque culture, d’abord en CD, puis de plus en plus sur Internet, médium qui convient à ses élucubrations psychédéliques audiovisuelles. Ses livres, parce qu’il écrit comme il souffle, sont des disques de papier, rythmés et sonores. Isolé comme tous les artistes atypiques, seul comme tant de garçons de son âge égarés sur la Carte du Tendre, il lui a fallu composé avec le confinement.

Il a enfourché sa clarinette basse, fidèle Rossinante, et il a joué chaque jour des deux confinements, sur son balcon au printemps, dans sa chambre cet automne. C’est roots, enregistré à l’arrache avec son téléphone, mais ensuite réintégré à des images vidéographiques. Son passé de technicien à Canal+ lui aura peut-être servi à apprivoiser les machines. Dans le passé j’ai parfois joué avec Étienne, en trio avec son fils Léo à la Gameboy qui depuis est passé à la guitare baroque, au luth et au théorbe, en quartet avec Nicolas Clauss et Éric Échampard ; Étienne jouait alors du sax alto et de la cornemuse !

Étienne Brunet ne s’arrête jamais de défricher des territoires qu’il ne connaît pas, meilleure méthode pour ne pas s’endormir. De toute manière, comme tous les grands productifs, il meuble ses insomnies. On le retrouve à Bangkok avec un groupe thaïlandais, à Berlin avec le violoncelliste Tristan Honsinger, à Lisbonne dans un grand ensemble d’improvisateurs, commémorant Pierre Barouh qui fut longtemps son producteur dans un orchestre Saravah, avec les Africains Djeour Cissokho, Mamadou Faye et le groupe Allalaké ; il s’est aussi formé à l’écriture symphonique et collabore avec le plasticien Fred Sapey, avec les poètes Julien Blaine et Jacques Donguy…
Après l’ancien, Étienne vient de mettre en ligne son nouveau site, d’une grande richesse et profondeur. Le système, même dans ses marges, isole stupidement les compositeurs comme lui, travailleur acharné en liaison directe avec son temps, prêt à y laisser sa chemise, sa peau et son âme. Le succès est un concept absurde pour les explorateurs. Ce sont les risques qui donnent toute la saveur à la vie, car le chemin est toujours plus excitant que la destination.