Ear asphyxia


Le son du saxo est transformé par des Modulateurs en anneaux, des échos, des filtres etc. Le disque « Ear asphyxia » est inspiré par la pollution de Bangkok et mixé après le tremblement de terre.


Mon ami Jason Weiss, auteur de plusieurs livres sur Steve Lacy et Brion Gysin m’avait proposé de faire un disque pour le label « Relative Pitch Records » de NewYork. Les gens du label m’ont fait savoir qu’ils voulaient un disque solo, probablement un solo absolu (pas de re-recording, un minimum de points de montage). J’avais enregistré une première maquette ou je jouais des standards avec des improvisations mais ce n’était pas ce qu’ils attendaient. J’ai recommencé et enregistré ces improvisations abstraites quelque peu au pied du mur. J’avais peur de ne pas y arriver. J’ai enregistré dans le parc du Big Bouddha à Jomtien avec un Zoom ProH4 et au studio de Tommy à Bangkok

Avec la pollution démentielle, j’avais presque hâte de retourner à Paris. Maintenant, j’ai fini mon disque solo. Je n’ose le réécouter de peur d’être déçu. J’ai un casque audio et des mini-enceintes chinoises de trop mauvaise qualité pour juger rationnellement le résultat. Je vais attendre mon retour à Paris pour écouter sur mes moniteurs et enceintes pro que j’utilise depuis des années. J’aurai beaucoup travaillé la préparation de cet enregistrement, mais je suis très brouillon. Je ne retrouvais plus les prises préparatoires faites dans le parc du « Big Bouddha ». J’ai adoré travailler au studio TMM : Thailand Music Maker de Brownstone. J’avais déjà collaboré avec Tommy Hanson, le patron du studio, je le connais depuis plusieurs années (voir le post https://etiennebrunet.fr/le-studio-thailand-music-maker-de-bangkok/. Je savais qu’il comprendrait immédiatement mon projet de transformation du son du saxo par des Moogerfooger et assimilés. « Ear asphyxia » est inspiré par la pollution de Bangkok et mixé après le tremblement de terre.

« Ear asphyxia » est un résumé de mon séjour dans le brouillard toxique. Le mot anglais oreille « Ear » sonne comme « Air » air ambiant ou « On Air » diffusion en direct à la télé. Je compare l’acouphène avec la pollution de l’air, les micro particules, les ondes hertziennes les ondes ultra courtes des smarts. Pollution diurne, sonore ou aérienne, je jette tout dans le même tonneau. Les particules toxiques élémentaires sont invisibles, ne s’entendent pas ne se sentent pas mais attaquent la parano du client.

Pic de pollution


Arrivé le 23 janvier 2025 à Bangkok, jour du pic de pollution. Ecoles fermées, télétravail, alertes. Le seuil toxique défini par l’OMS, dépassé huit fois.


J’avais fait dix mille kilomètres pour arriver le 23 janvier 2025 à Bangkok. C’était le jour du pic de pollution. Ecoles fermées, télétravail, alertes. Le seuil toxique défini par l’OMS, dépassé huit fois. Les data center ont craché des particules fines en tous genres Co2 et Pm2.5 qui diffusent leur poison direct dans le sang plus un tombereau de fausses nouvelles direct dans le cerveau. Epais smog à travers le soleil. Vision translucide. Photo cramée jetée dans l’eau sale. Atmosphère tamisée par un filtre Instagram. Les voitures gluantes bloquées sur tous les axes de la ville. Bruit au paroxysme. Bangkok est abimée par la pollution. Contradiction : pour évacuer l’angoisse il faut respirer profondément et expirer lentement. L’air vicié de la cité toxique est vicieux, irrespirable… J’avais été récupérer mon kaen chez mon ami Bank à son Bemsha Café

Pendant les pics de pollution il faut rester chez soi, ne pas respirer, ne pas s’agiter et ne pas souffler dans un saxo. J’ai réalisé une vidéo en hommage à Tom Johnson, compositeur et poète décédé récemment. Vidéo conçue pour la revue « Docks », inspirée de cet épisode sulfureux.

Tremblement de tour


Si j’avais un groupe commercial avec conseiller image, attaché de presse, surface médiatique etc, j’aurai pu nommer ce post « Earthquake Tour ».

Si j’avais un groupe commercial avec conseiller image, attaché de presse etc, j’aurai pu nommer ce post « Earthquake Tour ». Mais ce n’étais pas une tournée ni un même un mini tour, juste une succession de quatre concerts mi-mars et début avril 2025. Une jam au « Noise House Lat Phrao », puis un duo avec Don Pengboon suivi d’une jam avec Kantaphong Khamcharoen et Varis Likitanusorn, tous deux spécialisés dans les instruments traditionnels anciens au « Arie Arie ». Ensuite un trio avec Don Pengboon et Chainad Bavorntreerapak dit Bank, un duo avec Kantaphong Khamcharoen et une jam à la fin à « House of Tri ». Puis le 4 avril un concert en duo au « JamcafeBKK » avec Don. Question stoytelling ce n’était pas bien vu de ma part. J’avais fait preuve d’un manque de respect pour les ouvriers ensevelis dans les décombres de la tour écroulée par le tremblement de terre en postant le texte idiot ci-dessous qui n’a été compris ni par les Thaïs ni par les Français : « Einstürzende Neubauten » vous souvenez-vous : « maisons neuves en train de s’écrouler » à Berlin à l’époque du punk des années 80. Ça continue aujourd’hui a Bangkok, les maisons neuves s’écroulent. Surtout n’oubliez pas de venir dimanche à 17 heures dans la salle de concert « House of Tri » concert BANGKOK SCRATCH #03 avec Don Pengboon guitare, Kan Tan hautbois Pi thaïlandais, Bank aux synthétiseurs et moi-même saxo et kaen. ÇA VA TREMBLER ! (Merci pour les photos de « Noise House Lat Phrao » à Fern Atit)



Bangkok Scratch # 2 South Meets West au « Arai Arai ». duo avec Don Pengboon suivi d’une jam avec Kantaphong Khamcharoen et Varis Likitanusorn,



Bangkok Scratch en trio avec Don Pengboon et Chainad Bavorntreerapak, un duo avec Kantaphong Khamcharoen et une jam à « House of Tri »



Sans aucune indications musicales entre Don et moi nous étions branché sur la même longueur d’onde : une improvisation inspirée par le tremblement de terre.


Je joue avec Don au « JamCaféBKK ». C’est la salle mythique de Bangkok dédiée à l’avant garde. J’y avait joué plusieurs fois avant le Covid. La salle est près du métro Surasak. Elle est dans une ruelle typique de Bangkok, une bifurcation d’un carrefour de dix voies de voitures avec des tours tout alentour. On marche un peu et on arrive derrière un rideau d’arbres qui cache l’entrée du péage de la voie express. De l’autre, coté des petites maisons d’un seul étage, dont le « JamCaféBKK ». On passe des lumières violentes à une ambiance de village mal éclairé. Je salut Tevis le nouveau propriétaire californien du lieu. Il diffuse des disques de New Wave. Ambiance glaciale. Gate musicien et programmeur de la soirée « Thank God for Duos » mate son smart sans dire un mot et une fille regarde le plafond. J’ai l’impression de les emmerder. Je fait un bref soundcheck pour apprendre qu’il n’y a pas de réverbération ni d’effets sur la console de mixage. Normalement c’est le minimum d’équipement. Je serai obligé de jouer acoustique. Ça ne me dérange pas, la salle est toute petite, mais le son ne se mixera pas correctement avec la guitare de Don Pengboon branchée à un rack d’une dizaine de pédales d’effets. C’est la pire situation pour moi. C’était aussi le cas au « Arie Arie » mais il n’y avait pas de sono. La guitare sortait direct sur un ampli. D’habitude le son du saxo se mélange bien à l’électronique avec une bonne réverbération. Sans effet d’écho ni de « reverb », le son du saxo se mixe comme l’eau et l’huile avec la son de la guitare électrique.

La salle s’est remplit soudainement vers 20h30. Il n’y avait quasiment que des amis « farangs » des deux duos qui jouent après nous. Les auditeurs étaient attentifs et nous avons eu un bon succès. Sans aucune indications musicales entre Don et moi nous étions branché sur la même longueur d’onde : une improvisation inspirée par le tremblement de terre. J’étais arrivé malade en prévision d’une soirée difficile mais dès la première seconde du concert mon énergie revient comme par miracle. Je n’ai pas récupéré de captation valable ni de photos. Les gens filment avec leur smart un bout de concert pris au hasard, bout trop court pour saisir le développement de la musique. Rares sont ceux qui prennent quelques bonnes photos. Les gens s’acharnent à capturer des bouts de vidéos diffusés en direct sur un réseaux social, ensuite il est quasi impossible de récupérer le fichier. Enfin bref… J’ai conservé un bon souvenir de cette soirée alors que je prévoyais le pire. Juste après notre duo, jouais : « Bang Sue Electrix » un duo Hip Hop, le guitariste est tchèque et la chanteuse thai, une femme simple et sympa. Elle se transforme en furie dès le début du concert façon Beastie BoyRunDMC, J’étais surpris par l’énergie de ce duo et par la richesse de leurs sonorités. Pour terminer la soirée, un duo installé dans le sud-est asiatique : « Geography of the Moon » avec un guitariste écossais et une chanteuse française. Bonne esthétique rock qui fait penser aux groupes de l’ancien label 4AD.

Oloron Sainte Machine


Ta première lettre m’avait beaucoup touchée et m’avait donné envie d’écouter ce fameux concert qui va être réédité par Jean_Marc mais je ne retrouve pas le fichier.


Question de Stuart Broomer pour les notes de pochette d’une édition d’un concert Axolotl à Oloron Sainte Marie en 1982 (?) chez « Fou Record ». Enrégistré et édité par Jean-Marc Foussat. Sortira bientôt.

Ta première lettre m’avait beaucoup touchée et m’avait donné envie d’écouter ce fameux concert qui va être réédité par Jean_Marc mais je ne retrouve pas le fichier.

Les dates : impossible de détailler entre 1979 et 1984, merci de consulter ma bio : https://etiennebrunet.fr et mon site entier. Axolotl ne fut que le début de ma carrière de musicien. Je suis toujours actif contrairement à mes deux acolytes qui ont arrêté la musique depuis longtemps. Axolotl est extrêmement loin. J’ai toujours avancé sans me retourner ni regarder derrière moi. Axolotl terminé, je n’avais plus jamais voulu en entendre parler.

Je suis aussi, comme vous, extrêmement troublé et déconcentré par le retour de Trump au pouvoir (la marionnette de Poutine). J’ai de plus en plus de mal à me concentrer à cause de mon âge qui avance (j’ai 71 ans) et le présent qui recule entre délire politique et absurdité numérique.

Je viens de la musique classique occidentale. Ma mère est morte quand j’avais six ans et je m’étais retrouvé pendant deux ans chez ma grand-mère et ma tante qui était choriste à l’opéra de Nice. J’avais été embarqué pour chanter dans les chœurs d’enfants comme ceux de Carmen. Je ne m’en suis jamais remis. Les lumières, les costumes, l’orchestre spectaculaire et surtout le concept d’amour et de mort qui traverse l’opéra. Ensuite, j’ai eu une enfance vraiment merdique. J’ai repris la musique en autodidacte vers 16 ans. J’étais devenu un révolté fou furieux contre la société. Ce n’était pas original à l’époque. Je m’étais mis à haïr la musique classique et j’avais plongé dans le free-jazz de Sun Ra, Art Ensemble, Coltrane, Dolphy, Lacy, Daunik Lazro (un ami français à l’époque) et aussi le rock psychédélique avec Hendrix, les Doors, Beefheart, Soft Machine etc. À l’âge de 20 ans, j’étais parti au Mexique pendant un an avec l’argent que j’avais gagné. On trouvait plus facilement du travail à l’époque. J’étais sur les traces de Kerouac. A San Christobal de las Casas, j’avais décidé de consacrer ma vie à la musique lorsqu’un Indien m’avait tendu un violon en contre-plaqué que j’avais refusé. Deux minutes après j’avais compris que c’était le signe du destin. La magie des Mayas était omniprésente dans l’état du Chiapas. Je me suis tenu à ce signe mystique toute ma vie.

Rentré à Paris, j’avais rencontré Marc Dufourd chez des amis deux ou trois ans après. On avait commencé à jouer ensemble dans le style d’un duo de français de l’époque : Claude Bernard et Raymond Boni. On avait été engagé pour faire un premier concert au théâtre Dunois. Peu de temps avant, Marc était arrivé avec le disque du « London Concert » de Derek Bailey et Evan Parker. Lumière ! On avait flashé tous les deux sur cette esthétique géniale et révolutionnaire. Du jour au lendemain on s’était mis à jouer dans ce style plus ou moins non idiomatique. Ensuite j’avais rencontré Jacques au festival de Chateauvalon dans le sud de la France, dans le grand orchestre que Steve Lacy avait formé avec des stagiaires. Nous avions beaucoup joué en trio pendant 2 ou 3 ans, répétitions, concerts et disque. Nous étions très actifs. Le temps avait défilé à toute allure et les influences auxquelles nous étions exposés faisaient leur œuvre corosive. Nous avions en commun d’avoir glissé vers le punk, la no wave de NY et des groupes comme Père Ubu. A ce moment nous avions embauché deux batteurs pour quelques concerts qui tournaient au free-punk. Notre esthétique, cohérente au début, s’était transformée en un cocktail de contradictions insolubles. Moi, entre temps j’avais été boursier du centre de musique contemporaine Acanthe et j’avais étudié le théâtre musical avec Mauricio Kagel. Une voie tout à fait différente. Le second disque témoigne de l’impossibilité de jouer un tout cohérent. Après quatre ans d’activité réjouissante, nous n’étions plus d’accord sur rien ! Nous étions déjà fâchés à la sortie du deuxième disque. Marc s’était retiré du jeu pour je ne sais quelle raison. Nous avions fait un clip vidéo pour la sortie du disque avec Larry Flash, un vidéaste à fond dans cette nouvelle direction du clip début MTV. A l’époque aucun groupe de free ou de jazz n’aurait touché à la vidéo, la considérant comme hautement toxique.

Je prépare actuellement un disque solo pour le label « Relative Pitch Records » de NY. Je passe plusieurs mois par an en Thaïlande. J’écris beaucoup dont « Web Web Opérette » jamais monté.

Les deux mails de Stuart :

Dear Etienne, Marc and Jacques, (Etienne, I pasted the previous letter, that you didn’t see, at the bottom), Jean-Marc also copied.

Marc, I enjoyed the guitar solo tremendously. On my previous listen I hadn’t realized it was an acoustic guitar—sounded like an electric with high action.

Please answer individually, to whatever extent you wish. I can’t claim great familiarity with French free jazz in the 1980s. If you’re happy with one member acting as spokesperson, I’m happy to deal with that though I’d appreciate at least some input from each member?

I hate asking questions because I assume you probably have a sense of what’s important to you about your work.
How long was the group active?
What were your particular musical backgrounds when the trio first assembled?
Who were your principal interests and influences?
How quickly did the music mesh for you? I’m impressed by the high degree of interactive listening and playing.
11 07 81 is that 11 Juillet 1981?
Was there a period of intense activity between “three days in spring” and July 11? I know this could just be studio and live differences, but the extended works of the concert seem more developed..

How long did the trio exist before adding bass and drums?
When did the group end?

For me, the brilliance of the music consists in the intensely interactive/responsive bits generated by each of the three musicians, including the sudden shifts in response to an individual change in direction, the almost composed ending to Track 1, a perfect summation to the massed detail that immediately precedes it.

Earlier Note

An apology for writing in English, but it’s my only functional language. I can haltingly read French, but composition is beyond me. I’m happy to receive replies in French and will do my best with your responses.

Above all, I also have to apologize for how long it has taken me to contact you and how long it’s taken me to begin writing about the music. The causes of my delay are multiple — from my lack of familiarity with Axolotl’s history to the music’s brilliance and originality and the general press of geo-political chaos. I know the latter is presently near universal, but it feels particularly intense when living 50 kilometers across a lake from New York state and hearing about possible impoverishment and annexation of one’s country, shades of Czechoslovakia in 1939. My attention span and powers of concentration have not been up to their usual standard. Should you wish to cancel my participation, I would certainly understand and would respond with a rave review somewhere when the CD is released.

Rather than pose questions, beyond the trio’s origins and intentions, I would like to know your own thoughts.

Usually when I write a liner note I feel like I’m engaging as a listener writing from experience. When I first listened to Axolotl, I gradually realized I was listening from the opposite pole, innocence. There’s both the pleasure of hearing something “new” and a certain sense of loss coming from not hearing it 45 years ago. The music from Oloron Saint-Marie is both highly original and remarkably achieved. My first associations – from the spare and special instrumentation, the degree of interactivity and spontaneous organization – suggested to me phases of Jimmy Giuffre’s from the two-wind/guitar instrumentation of the late ‘50s. to the spontaneous interactivity of the great early ‘60s trios. However, your music is radically different in its concentrated, shifting detail.

Your trio creates rich, continuous music through a dense concentration of microscopic, interactive bits, a kind of constantly changing mosaic of elements. I realize, of course, that you must know this, but I would be more than happy to explore its appearance in various phases of the concert recording in the note. The effect of the instrumentation is tremendous clarity, complexity and detail. I’m not sure how the amphibious name applies and was surprised both to find little material on-line about the group and its limited recordings, as well as the recent use of the name by a far less interesting group.

Should you still wish to go ahead with my participation, I would appreciate anything any of you might wish to say about the trio’s conception, musical intentions and career and will do my best to integrate them into a liner note.

My thanks in advance for anything you might wish to provide, and again my apologies.

Regards,
Stuart Broomer

Creativ Festival – Lisbonne


L’élégance du jeu dans les orchestres d’Ernesto est de ne pas se mettre en avant. L’ensemble donne presque l’impression confortable de la musique répétitive. Isotope is the Top ! 


Casa di Comum 22 – 24 novembre 2024 (Merci à Nuno Martins pour les photos) Ernesto, voix grave, regard bleu, violon alto et organisateur du Creativ Festival depuis dix-huit ans. Ultime refuge de la Free Music historique de la vieille Europe. Lisbonne a pris le relais de Londres, Berlin, Amsterdam. La différence avec les Festivals des années 80 en Europe du Nord est qu’il y a maintenant plus de femmes musiciennes et plus de public féminin. Bien sûr il y avait Irène Schweizer, Annick Nozati, Lindsay Cooper et quelques autres pionnières dans chaque pays… L’aventure Free Music a évolué vers une mixité sans autre forme de parité que la créativité. Malheureusement, depuis le Covid, la ville est en voie de gentrification accélérée. Le cout des loyers et des hôtels s’envole, les prix sont inflationnistes comme partout. Place au tourisme de luxe. Historiquement, les artistes et les musiciens toujours fauchés s’installaient dans les villes où la vie était bon marché. Dans les années 70 c’était Brooklyn à NY, dans les années 90 Berlin après la chute du mur. Pendant longtemps, Lisbonne faisait partie des villes où l’on pouvait vivre cool pour pas cher. Maintenant, les musiciens s’éparpillent partout et nulle part. Les artistes se cachent à la campagne du moment qu’il y a du wifi pour être connecté au monde. Ce Festival est comme un rayon de soleil qui perce derrière les nuages de la mondialisation.

Ouverture : le groupe Arpyies composé de la grande Maria Do Mar au violon; Catarina Silva : cor d’harmonie, instrument rarissime échappé de l’orchestre symphonique et Ana Albino très discrète guitariste, élégante comme un courant d’électricité imperceptible traversant l’âme. Les filles entre elles font du bon boulot ! Good music ! Deuxième trio de la soirée Karoline Leblanc au piano, Fred Lonberg-Holm au violoncelle électrifié et Paulo Ferreira Lopes batterie (deux cymbales, une caisse claire, des chiffons et mailloches douces). Écoute intense de l’ordre de la télépathie entre les musiciens. Érotisme sublimé dans la virtuosité du discours. Les oreilles s’installent dans un niveau confortable de décibels modérés. Dernier groupe de la soirée : la frêle saxophoniste alto Joana Sá (mais brillante instrumentiste) campée entre deux gaillards du mur de son, Messieurs Abdul Moimême et Carlos Santos. Les deux mecs pilotent des synthés analogiques qui balancent de l’infra-basse cardiaque au sifflement aigu vénéneux. La jeune femme très décontractée explore le monde des doubles sons situés dans la palette des techniques étendues de jeu de saxo. Solide culture classique cachée par la modernité du discours. Un set à la fois statique comme si ne fut jouée qu’une seule note d’une demi-heure et mobile comme un kaléidoscope de timbres toujours changeant. La saxophoniste plane comme un ange au dessus des synthétiseurs (ou comme un drone survolant la technologie mystique).

En paraphrasant la théorie quantique, je peux affirmer que le seul fait d’écouter un objet sonore le transforme dans les méninges de l’auditeur. Écrire un compte-rendu de musique improvisée est quasi impossible, surtout le deuxième jour où j’étais programmé. J’aime faire le vide dans mon esprit avant de jouer. Cette fois j’étais submergé de sons et d’idées, assis sagement à écouter les autres, avant de jouer. Début de soirée : Guilherme Rodrigues au violoncelle, Maria Radich voix et Richard Scott synthétiseurs analogiques. Écoute très réactive entre les musiciens. Très belle sonorité du violoncelle mélangé aux modules du synthé. Maria survole les deux gaillards avec sa voix gutturale et grave. Elle harangue le public de douces onomatopées. Prophète féminin de la free music. Elle transforme le public en poussière de son. Elle avale l’instant sonore et emmène la musique dans la voie où personne ne va : l’inconnu lyrique. Deuxième groupe : Carlos Zingaro au violon, João Madeira à la contrebasse et Carlos Bechegas à la flûte traversière. João qui m’a aimablement logé pendant mon séjour et Zingaro que j’avais connu il y a 45 ans dans l’atelier de Steve Lacy au Festival de Chateauvallon (France). Leur trio est extrêmement virtuose. La double croche est l’unité de base de leur discours. Ils foncent dans l’inconnu dans le plus pur style Free Music.

Ensuite j’ai joué avec le trio Siècle Minute avec Miguel Mira au violoncelle et Monsieur Trinité aux percussions, un de mes plus vieux amis, je le connais depuis 53 ans. Un siècle = 52560000 minutes. Nous n’avions pas fait de soundcheck pour des circonstances malheureuses d’organisation. Des groupes avaient été intervertis dans l’ordre du concert au dernier moment. J’ai eu l’impression que nous avions bien joué. Je n’ai pu récupérer aucun enregistrement ni vidéo, alors je ne peux me prononcer. Impossible d’être juge et partie. C’était un grand plaisir d’improviser avec ces deux gars. Ils ont particulièrement bien joué ce soir là. Nous totalisons presque deux siècles d’âge à trois bonhommes. Ensuite j’ai parlé au bar de la « Casa do Comum » avec une femme très sexy. J’étais assourdi par le bruit des conversations et je n’ai rien compris de ce qu’elle me racontais en anglais. Je suis sourd d’une oreille et l’après-concert dans un bar archi-comble était une torture mentale. Avait-elle aimé notre concert ou m’expliquait-elle pourquoi quelque chose n’allait pas ? J’ai eu un doute. Elle m’aurait proposé de coucher avec elle que je n’aurais pas non plus compris. La musique improvisée est un moment privilégié qui disparait ensuite dans la sensation du souvenir mastiqué par la mémoire avant d’être recraché dans l’oubli…


le trio Siècle Minute avec Miguel Mira au violoncelle et Monsieur Trinité aux percussions, un de mes plus vieux amis, je le connais depuis 53 ans. Un siècle = 52560000 minutes.


Troisième et dernier jour. Flak, guitare électrique entourée par deux femmes : Carla Santana aux synthétiseurs analogiques et Luisa Goncalves au piano. Duo entre les deux instruments harmoniques de Luisa et Flak avec ponctuations de Carla (avec qui j’avais eu le plaisir de jouer avant le Covid) qui balance quatre formes d’onde générant un bruit industriel menaçant. Ensuite, elle sample des goutes d’eau suintant dans un atterrissage poétique de fusion bruit et musique. Jouent en deuxième Ernesto Rodrigues au violon alto, Jung-Jae Kim au saxo ténor et Alvaro Rosso à la contrebasse. J’avais eu par le passé l’honneur de jouer avec Alvaro et aussi avec Ernesto, organisateur du Festival. Ernesto à fond de train acoustique avec un archet en forme d’arc pour viser au cœur de l’improvisation. Alvaro trace le chemin en pur virtuose et le jeune saxo Coréen du Sud accompagne en sons multiphoniques très doux pas agressifs comme c’est souvent cas au saxo. Son souffle est un mélange d’Evan Parker dans le gant de velours de Ben Webster. J’étais conquis par son jeu. Ensuite, pour finir la soirée avant le grand orchestre Isotope : Nuno Torres au saxo alto, João Silva à la trompette avec sourdine et André Hencleeday, jeune gars couvert de tatouages, au piano avec clavier fermé. Pianiste virtuose de formation classique, il a décidé de ne pas toucher les touches de nacre pour communiquer avec le public. Il passera tout le concert debout, plié dans la table d’harmonie du clavier avec divers cymbales, woodblocks et objets. Le saxo joue quelques multiphoniques très doux puis on entendra le souffle mêlé à celui de la trompette dans un discours ultra minimaliste dans l’esprit du groupe IKB d’Ernesto. Esthétique néo-cagienne très radicale. Mise en espace de microparticules sonores à peine audibles contenues dans ce qu’il est convenu d’appeler le silence.

Pour finir la soirée, le grand orchestre Isotope. Il est dimanche 22 heures. Le programme annonçait la fin du Festival à 21h. La jeune femme ingénieur du son et régisseuse annonce qu’elle s’en va ! Attitude syndicaliste robuste… Elle a fini son boulot ! Pour un gars de ma génération, il est inconcevable qu’un responsable d’un Festival de Free Music quitte le navire avant la fin. Engueulades générales. Confusion. Coup de téléphone au patron qui envoie son fils pour prendre le relais et permettre à la fin de se dérouler : un orchestre d’une vingtaine de musiciens ayant participé aux trois jours de festival venus pour une improvisation collective. La moitié du public est partie. La confusion aura duré une bonne demi-heure. J’ai réussi à lancer la vidéo générative que j’avais préparée sur le logiciel TouchDesigner, une sorte de peinture électronique générée par des algorithmes complexes gouvernés par le hasard (non par l’Intelligence artificielle). Du coup, j’étais le dernier à m’installer sur scène et j’étais coincé en équilibre instable entre deux saxophonistes et la pianiste. Cette fois, Ernesto ne fait pas mine de diriger l’orchestre. Il joue en regardant le public qui est resté. Écoute intense. Le niveau sonore assez retenu n’atteint jamais le triple forte. L’élégance du jeu dans les orchestres d’Ernesto est de ne pas se mettre en avant. L’ensemble donne presque l’impression confortable de la musique répétitive. Isotope is theTop !