Ecritures

Enregistrement au « Studio de la Seine » des compositions des stagiaires : « Gérer une session d’orchestre pour le film, de l’écriture au mixage » orchestre de Frédéric Masson dirigé par Xavier Ricour avec Arnaud de Buchy, Didier Falk et Didier Goret. Cette expérience d’écrire une musique classique montre à quel point l’oreille est subjective. Je viens du jazz et j’ai conscience de la fragilité de l’instant. Le T-R-U-C génial du compositeur est de figer son délire dans une sorte de révélation.

Lumière Filante (en sortant de l’expo Duchamp)
ayahuasca musique de film

Partition de Concatenator Dataphysicum écrit en 2011 écriture entre poésie et musique

Sortie de Berlingot en 2015 et Parigot en 2016

Avec Francisco Trindade dit Monsieur Trinité CreativeFest XI à Lisbonne à O’culto da Ajuda

Web Web Opérette en quatre actes et 32 tableaux, terminé en février 2020 en quête de producteur

La chambre anéchoïque extrait du bruit et image réédité en septembre 2020 paru en 2010 sous le titre de « acouphènes Parade ». à commander sur Amazon : https://www.amazon.fr/bruit-limage-Acouph%C3%A8nes-Parade/dp/2954297247

Encore les voix ! J’entends Sœur Conscience Parano son acou-phone & vacarme céleste.
— Qu’est-ce que tu cherches ?
— Je cherche ma maman ! (et mon papa) Complexe d’Europe. Je suis en pleurs. Je perds mon temps à traîner dans les rues. Je cours après des ombres, sans fin. Perdu. Je joue au dur, au mec cool, au révolté, mais j’ai le cœur brisé. Volonté zéro.
— T’es un petit con qui a perdu son doudou Merdaillon en peluche. » Tu ne peux pas chanter comme King B.B. Nobody loves me, but my mother.
— Comment ? Pourquoi je fais semblant ?
— Je suis ton ange gardien, ta conscience du bruit. Je suis plein(e) du silence assourdissant d’aimer. (Le fou d’Elsa… ce vieux schnock d’A.)
— Les temps ont changé. Maintenant ce n’est plus l’amour qui assourdit, mais le non-amour! »
Des milliers d’oiseaux piaffent dans ma tête. Vacarme des voitures. Amplification générale. Hyperacousie. Menace. J’avance le pied droit trop vite et je manque de me faire écraser par une voiture. Je ne l’ai pas entendu venir ! Sœur Conscience Parano me guide vers l’impasse:
— La passe, oui la passe !
— Non, l’impasse, No Way !
— Encore une occasion manquée de disparaître ! »
En fin de compte, en plus de l’oreille, le cerveau écoute, les organes écoutent, la peau écoute, le nez écoute. L’œil écoute. Les mains, les pieds, les jambes, le sang, les nerfs, le sexe, les cheveux, les seins, le corps, le squelette écoutent. Le public écoute. J’ai les oreilles qui sifflent. Est-ce que des gens parlent de moi ? disent du mal de moi ? En réalité plus personne ne s’intéresse à ma musique, plus personne ne m’invite à jouer. Mon public s’est éparpillé. Conscience Parano !
J’ai fait vingt séances de caisson hyperbare, sorte de mini sous-marin stationné dans les sous-sols de la clinique machin chose des Adultes Malades. Mais je les ai faites bien trop tard. Il faut y aller dès le premier jour des symptômes. Le caisson ressemble à ces haut-parleurs haute fidélité des années 50 en forme de coquille, satellite soviétique ou robot-marie des trente glorieuses. Le caisson sert à simuler la plongée à moins 15 mètres sous l’eau. Il est utilisé pour traiter diverses maladies, dont la surdité soudaine. Les huit patients, habillés d’uniforme vert, sont placés sous masque à oxygène. Compression de l’atmosphère en pompe à vélo manipulée par un nerveux. Les oreilles se débouchent. Les osselets craquent. Le temporal déglutit. Le degré d’incertitude demeure élevé. Pressurisation et dépressurisation pour se débarrasser de l’acouphène. Pas de résultats à l’arrivée. Trop tard. Dommage. Conscience Parano !
Ensuite, je visite la chambre anéchoïque de l’IRCAM. C’est chic de trainer là-bas, à l’époque j’avais un pote qui me faisait entrer. Drôle de nom : anéchoïque, drôle d’endroit. Chambre sourde. À l’intérieur, je n’entends plus rien. Conscience Parano ! Le silence est vaste, infini. La chambre n’a ni murs, ni plafond, ni plancher. Espace délimité par des pyramides de mousse d’environ un mètre de long. Ces multitudes géométriques environnent le visiteur comme s’il était à l’intérieur d’une figure virtuelle 3D. On pénètre au centre par une passerelle métallique. Un seul siège pivote dans le vide. Matériau ultra-absorbant. Pas de réverbération. J’entends le vague clapotis de mon ventre plus une fréquence médium aiguë et un sifflement sourd. Conscience Parano !
John Cage écoutait cette fréquence dans les années 50 : c’est le sifflement sourd du système nerveux et de la circulation du sang. Ce sont des acouphènes naturels de la circulation du “son”. N’importe quel être humain possède une fréquence cachée, un feedback interne à l’oreille externe, c’est le même son qu’entendent les voyageurs des déserts de sable. Conscience Parano. J’entends une fugue de silence sur le thème C-A-G-E (do-la-sol-mi). La chambre anéchoïque est l’inverse de la thérapie : d’habitude, j’essaie d’oublier le bruit parasite de mon cerveau. Plus exactement j’essaye de singer le principe de l’antiphase en diffusant une sorte de bruit blanc identique à celui de mon cerveau pour le masquer. Ici j’entends les acouphènes avec une clarté terrifiante comme une gamme de bruits divers : train lancé à toute allure, grincements macabres, hurlements métalliques, chuintements d’inondation, avions au décollage, catastrophes variées, big bang, crissements des dents. Conscience Parano !
Une semaine après, je suis à nouveau dans la chambre anéchoïque. Cette fois, je suis calme et serein. Je ressens l’acouphène comme un bruit d’ambiance par forte chaleur au pays des merveilles. Mélange de grillons et cigales, une fontaine glougloute, un ruisseau murmure. Je prends mes vacances dans la chambre anéchoïque comme d’autres dans un abri antiatomique. Lumière artificielle. J’ai le sang chaud, trop chaud. Je le sens couler dans mes veines avec un bruit d’acouphène. Conscience Parano !
En un sens, l’acouphène est une perte de sang-froid. Pulsation cardiaque, battement sourd masqué par l’acouphène. Continuum abstrait de fréquences ultra-graves. L’acouphène c’est l’amplification exagérée du bruit de fond dans le rapport signal/bruit. Le bruit de fond devient le bruit de devant. Un baffle sous tension génère un chuintement masqué par la musique. J’imagine le chuintement transformé en grondement et la musique riquiqui par en dessous. Je suis quasi mort et j’écoute d’outre-tombe les vibrations de la vie. Conscience Parano ! La chambre anéchoïque est une sorte de divan du psychanalyste pour l’oreille. Elle permet de prendre conscience et maitriser par soi-même les dysfonctionnements du corps acoustique.

Axolotl (extrait de « Rubato Sampling,  » non encore publié

J’étais resté un an au Mexique. La révolution sociale n’a pas eu lieu. J’avais décidé de consacrer ma vie à la musique. De retour à Paris sans un sou ni rien. J’avais 21 ans et je ne comprenais plus personne. J’avais rencontré le guitariste Marc Dufourd. Il était marginal et avait des vues originales sur le monde. Nous aimions jouer ensemble un peu dans l’esprit du duo Boni/Bernard, musique improvisée rythmique et mélodique. Peu de temps avant notre premier concert au « Rue Dunois », Marc avait apporté le disque : « London Concert » du duo Bailey/Parker. La sortie d’un disque était un événement. Marc déclare que nous devons improviser dans cette direction nouvelle et radicale. Dissonances, intervalles de seconde et septième majeur, ruptures de rythme, silence abrupt, rubato généralisé, mélodies brisées, chaos sonore étendu aux bruits et chocs, sensation globale d’un univers musical et poétique atonal, énergie sublimée en « free music ». Peu de temps après, j’avais rencontré Jacques Oger au Festival de Chateauvallon (ne pas confondre avec la série TV) en 1976 au workshop de Steve Lacy. Il jouait du baryton et du ténor. Moi je jouais du saxo alto et de la clarinette basse. Nous avions en commun un goût pour la complication : jouer chacun des instruments en Sib et Mib. Il nous avait rejoints peu de temps après. 

Marc avait proposé de nommer ce trio Axolotl, d’après la nouvelle de Julio Cortazar. Comme par miracle nous nous étions transformés en axolotl en moins de temps qu’il le faut pour le dire. Nous étions jeunes. Les axolotls étaient les formes larvaires, pourvues de branchies, de musiciens du genre Rolling Amblystone. La plupart d’entre eux appuyaient leur tête contre la vitre de l’amplificateur et écoutaient de leurs yeux d’or ceux qui s’approchaient. Membranes vibrantes. L’axolotl dans son bocal, envoie le message E=mc2 : Énergie égale musique multipliée par le carré de la vitesse de la lumière. Le « m » de « masse » d’un corps est remplacé par le « m » de « musique ». En conséquence la musique devint vite impopulaire, opposée à la masse. Si l’on remplace la vitesse de la lumière par celle du son, l’équation se ralentit et l’on retourne dans l’aquarium. Dans l’eau le son voyage quatre fois plus vite que dans l’air, mais la frontière de la paroi du bocal ressemble à un écran de lumière. La boucle est bouclée. Nous passions des heures à suivre les mouvements obscurs des axolotls. Les batraciens et les tritons (diabolus in musica) vont muter en salamandre fourrée à la « No Wave ».

Jacques était enthousiaste et drôle. Il téléphonait aux organisateurs de concert. Devant leur refus il disait joyeusement : « d’accord, ce sera trois fois plus cher l’année prochaine ». Arrivé dans un concert, il susurrait à l’ingénieur du son que « nous ne savons pas jouer ». Avec la pochette en papier de verre du premier microsillon réédité maintenant, la réputation du groupe était devenue sulfureuse. Nous étions invités un peu partout. Notre musique était différente des groupes de jazz français de l’époque. Nous ne les aimions pas et eux non plus… Notre défiance était partagée. Nous étions certains de détenir une vérité sonore de l’instant présent. L’improvisation totale était la règle. Nous étions très amis avec Jacques Berrocal, toujours fourrés chez les uns ou chez les autres à picoler sévère. Il était très amusant. Nous hurlions de rire. Il nous avait invités à sortir ce disque « Abrasive » sur son label «D’Avantage » avec Daniel Deshays, le meilleur ingénieur du son à l’époque. Il avait contribué à la réussite de ce disque. 

J’ai souvenir d’un concert à Naples en Italie « La Lucha Musicale ». Deux sonos indépendantes avec le public au milieu. Une scène en plein air avec Axolotl d’un côté et de l’autre « Catalogue » le groupe de Berrocal qui jouait simultanément. Nous avons évolué au fil des années. Nous jouions une musique très avant-gardiste et déstructurée, mais l’influence de Berrocal nous a poussés vers une sorte de punk radical. Une force gravitationnelle de l’époque nous avait entrainés vers le « No Future » et le son binaire des jeunes gens modernes. L’Axolotl avait muté en salamandre à géométrie variable avec deux batteurs ou alors le trio était absorbé par le groupe « Application » de Berrocal. Je me souviens d’un festival ou nous jouions en première partie de Nino Ferrer devant 3000 personnes qui hurlaient et nous jetaient des canettes et des projectiles. Berrocal se roulait par terre, crucifié dans le style de « l’iguane ». Je ne jouais plus de saxo. J’étais sur le praticable du batteur avec des boites à rythme bas de gamme et des synthés pour enfant. Jacques Oger était sur un grand orgue Hammond dont le propriétaire l’insultait backstage, lui demandant d’arrêter immédiatement cette folie. Nous faisions des batailles de boites à rythmes dans un tempo différent. Les deux guitaristes Marc Dufourd et Jean-François Pauvros défiaient l’histoire du rock. Chaos du bruit complètement dingue. Le public était furieux,

Avec Axolotl, nous fonctionnions comme un groupe, autant dire que c’était la guerre d’influence permanente pour prendre les décisions. Nous étions toujours à deux contre un, mais le groupe était la forme supérieure de ces années, une sorte de famille. Le groupe a implosé comme un vieux téléviseur à tube, en 1984, à la sortie du second disque : « Outmanoeuvre ». Disque maudit. 

Les multiples contradictions d’Outmanoeuvre continuent de me tarauder des décennies après. Forme contre abstraction. Mise en mouvement contre mise en place. Rock contre jazz. Free music contre Punk. Chanson contre musique contemporaine. Électronique contre acoustique. Synthèse contre analyse. Déraillement absolu. Ce disque raté est intéressant par son immense ambition avortée. La musique part dans tous les sens pour n’aller nulle part dans un trou noir dévastateur. Nous avions tourné un clip vidéo très rigolo avec Lari Lucien Flash, dans l’esprit de l’époque qui n’avait plus rien à voir avec la free music. Marc était déjà parti. Peu de temps après, je n’adressais plus la parole à Jacques. L’amitié s’était brisée. C’était fini. La jeunesse s’était écoulée. Les utopies avaient disparu. Les ex-jeunes avançaient leurs pions dans le monde de la musique devenue un champ de bataille de la Société du Spectacle. Les herbes folles de la culture camouflaient toutes sortes de dangereux crocodiles luttant pour leur survie. J’étais parti voir ailleurs. Déchiré entre des esthétiques contradictoires, mon seul guide restera la blue note du désespoir rythmée par le groove de la révolte.

Etienne Brunet

extrait de BANGKOK BLOCKCHAIN ALBUM tapuscrit à la recherche d’un éditeur

(extrait chapitre 18) Je joue les quatre notes du destin du blues traçant les quatre syllabes « A Love Supreme » de John Coltrane. Je suis assis sur la plage avec mon saxophone. Soleil couchant. Ciel flamboyant couleur jaune, rose, bleu layette puis orange bleu anthracite, blanc sombre. Mystique romantique. Mon désir d’amour charnel mute en amour universel abstrait de compassion envers les êtres humains. La vie est belle. Je veux exprimer le bon et le bien. Carte postale « jazz post-Johnny ».  Je me suis posté assez loin au bout de la plage pour ne pas me mettre en scène, mais des gens déboulent et me font OK du pouce. La nuit vient de tomber. Eh merde c’est l’heure ! Les karaokés démarrent dans un bruit de « boum boum » de boite à rythmes effroyable soutenant des voix d’hommes et de femmes s’efforçant d’imiter les singeries de la société du spectacle. Mon amour universel s’évapore de suite en haine du bruit. Je hais les karaokés. 

(extrait chapitre 19) Retour à Jomtien. Madee est injoignable. L’amour est sa devise trébuchante et sonnante. Elle n’a pas de téléphone, son adresse est un mystère. Je voulais la revoir, mais comment ? Elle est spirituelle. Elle m’avait donné un cours de langue thaïe. Elle est une femme époustouflante, très sexuelle. Je jouais du saxo sur la plage. Elle s’était installée près de moi et m’avait écouté pendant une heure. Elle m’assurait que la musique lui plaisait. Elle a un corps maigre avec un air mutin. Je chavire. Elle porte un haut en camaïeu bleuté de coton tressé transparent et un short en jeans ultra mini ouvert sur chaque côté pour entrevoir une petite culotte rouge sang. Le tout enveloppé dans un châle couleur émeraude pour montrer sans désigner son corps au désir. Elle m’a tout de suite plu. Élégance négligée psychédélique des années soixante-dix. 

Les jours passent. Un après-midi je tombe sur elle par hasard en bord de plage. J’allais prendre un café. Elle me saute dessus comme si j’étais son bien-aimé. Bises, caresses, sourire béat. Elle est marrante. Conversation joyeuse. L’amour est sa devise. J’ai l’impression de vivre au paradis. On fonce à mon hôtel. Elle me coupe les ongles, m’arrache les poils du nez, me douche, me lave les dents, me nettoie chaque centimètre carré de peau. Elle me masse. Je me détends. Je quitte tout stress. Je suppose que nous allons passer la fin de journée ensemble. Je m’apprêtais à prendre mon saxo pour aller jouer au bout de la plage. L’idée est plausible comme elle prétend aimer ma musique. Elle oriente massage érotique. Elle me fait le coup de la branlette « happy end » avec maestria. J’éjacule bêtement. Elle me déclare qu’elle va rentrer chez elle. Elle doit payer son loyer ! Fin de mois. En conséquence elle veut 1500 bath minimum. Rien n’était convenu. Un peu cher la coquotte. L’amour est sa devise. Je me fâche. Elle promet de revenir en début de soirée. Je descends faire la monnaie au Seven Eleven. Je lui file le blé. Elle prend sans un mot. Pas de merci. Elle m’assassine du regard et m’assure qu’elle a fait son travail ! Quelle garce ! Je lui dis d’aller au Diable des farangs-gringos. Finalement, elle me rend le billet de 500 et s’en va méprisante sans me regarder. Voilà le stress revenu. Son massage n’était qu’une gesticulation érotique. Garce arrière. Garce avant.

Donc je m’installe tout au bout de la plage, à la sortie de la ville pour jouer peinard. Un flic à moto m’attend. Je viens jouer souvent, même heure, même endroit. Je me demande quel emmerdement va me tomber dessus. Je m’installe. Je commence à jouer. Le flic visiblement satisfait applaudi. Il retire sa chemise de flic et son attirail. Il se met à l’aise en t-shirt. Il s’installe à côté de moi, va chercher des bières, m’en offre une et finit par s’allumer discrètement un joint. Il restera pendant toute ma prestation qui n’est qu’une sorte de répétition publique, mais très inspirée par la classique beauté du coucher de soleil sur la mer. Impossible de jouer mal dans ces conditions.